Hommage à nos anciens. 4ème partie
Témoignages de ceux qui ont connus Michel Coursault
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Juillet 2022, je croyais mon recueil des témoignages sur la carrière de Michel Coursault terminé, quand mon téléphone sonne le lundi 18 au matin. Il me faut quelques secondes pour comprendre que Luc Lepercq est en train de se présenter, ancien officier ASM sur le Forbin en 1968 et membre de l’Etat-Major de mon grand-père. Je lui avais écrit au début de l’année à sa maison de famille située en Savoie, sans savoir qu’il y réside seulement une partie de l’année. Il venait donc de décacheter ma lettre oblitérée fin janvier, usée par les caprices du temps, mais encore lisible, et dans laquelle je décrivais mon projet de publier des extraits de la correspondance et du journal de Michel Coursault.
La surprise de ce jour est réciproque, lui découvrant cette lettre qui le ramène 54 ans en arrière, et moi qui ne m’attendait plus à avoir de nouvelles. Avec son épouse, il se trouve en toute logique à la Martinière et m’invite à déjeuner chez eux pour échanger nos souvenirs. Les miens s’appuyant sur les albums laissés par mon aïeul et les leurs sur une mémoire intacte.
Quatre matins plus tard, me voilà avec mon père Pierre, qui m’accompagne pour l’occasion, à chercher l’entrée d’une splendide bâtisse du Moyen Âge, toute carrée avec des tourelles à chaque angle, surplombant un panorama de carte postale au pied des Alpes. Luc et Françoise nous accueillent au perron d’une demeure qui est celle de leur famille depuis 1860.
Et les Lepercq sont une grande famille, très grande ! Les parents de Luc ont eu 14 enfants, qui eux-mêmes en ont eu beaucoup. La maison appartient désormais à trois d’entre eux, un lieu paisible où ils reçoivent tous ceux qui veulent venir s’y ressourcer, y retrouver leurs racines au cœur des vieilles pierres, des livres aux pages maintes fois feuilletées et tableaux.
Luc Lepercq me surprend tout d’abord par son enthousiasme à connaître l’histoire de Michel Coursault, son ancien commandant sur le Forbin. On ne sait plus si c’est moi ou lui qui cherche des informations sur mon grand-père. Je m'imagine que les officiers de marine grandissent le plus souvent près de la mer, et ma première question concerne l'origine de sa vocation.
- D’où vous est venue l’idée de faire carrière dans la Marine... en étant Savoyard ?
- Il y a un côté héréditaire dans ce choix, son oncle était officier pendant la Première Guerre mondiale et un ancêtre plus lointain était amiral, me répond son épouse Françoise.
- Oui, mais je suis le seul de mes frères à avoir pris cette voie ! dit-il. Mais effectivement, on parlait souvent de mon oncle1 qui est décédé lors du naufrage du Gambetta en Adriatique.
Michel Coursault a eu un peu le même parcours, né en Touraine à cent lieues de la mer, au sein d’une famille de terriens et de médecins, il racontait avoir eu une révélation lors de vacances à Quibéron, en contemplant des navires de guerre ancrés dans la baie.
Avec l’assentiment maternel, Luc Lepercq est entré dans la Marine 1957, puis le mariage avec Françoise, et trois enfants suivent. En 1967, le jeune Lieutenant de vaisseau est affecté à bord du Forbin, en vue d’une mission aux confins du Pacifique. Michel Coursault commande l’Escorteur d’escadre, ainsi que la 6ème division d’EE. Quant à lui, il est officier ASM du Forbin.
- J’ai toujours été attiré par les fonds marins, j’étais aussi plongeur-démineur et avais dû intervenir un jour en pleine mer, au milieu des requins.
- Nous avons eu un bateau pendant de nombreuses années, complète Françoise. Luc était skipper et a été chargé d’emmener un voilier aux Antilles. Nous avons donc traversé une fois l’Atlantique. Au beau milieu de l’océan, il a eu besoin de plonger pour enlever un filet pris dans l’hélice. Avec son expérience passée, il m’a demandé de tenir une cordelette rattachée à son poignet et de la tirer si un aileron apparaissait à la surface de l’eau… et ainsi le prévenir du danger.
Le 12 mars 1968, la 6ème DEE intègre le « groupe Alfa » commandé par le Contre-amiral Levesque (promotion 1930), et appareille de Toulon afin de participer à la seconde campagne française d’expérimentations nucléaires à Mururoa (Polynésie française). La photo ci-dessous avec Luc Lepercq derrière le Contre-amiral l’interpelle.
- Eh bien vous voyez, je ne me rappelais plus du nom de notre Amiral. Certains officiers vous marquent plus que d’autres. Votre grand-père était un pacha apprécié par ses hommes, il était humain. C’est sans aucun doute lui qui m’a le plus marqué, au niveau émotionnel. Lorsqu’il a quitté le commandement du Forbin à Tahiti et qu’un nouveau l'a remplacé, nous avons bien compris à quel point la personnalité du commandant donne le ton de l’ambiance à bord. Je ne me souviens d’ailleurs pas de son successeur.
Une photo un peu moins conventionnelle a figé un instant de détente, une sortie en tenue décontractée, chemises à fleurs. On y reconnaît Françoise, et Michel Coursault a pris le soin de préciser son nom. Elle est à ce sujet très surprise de se voir dans cet album, mais se rappelle bien de son périple aux antipodes marins :
- Mon père était inquiet de laisser son gendre seul à Tahiti… mes parents m’ont donc proposé de garder mes enfants et m’offrir l’avion pour rejoindre Luc. C’était un voyage formidable !
- Un matin, vers 6h, nous nous sommes retrouvés tous les deux sur la passerelle alors que nous entrions dans la baie d’une île. Il m’interpelle : « c’est clair, c’est clair ? » Un peu impressionné, je lui ai dit : « oui, oui, c’est clair... mais je vais vérifier ». Michel Coursault était courtois. Plus tard, nous sommes rentrés par le cap Horn. Le Forbin avait ainsi réalisé un tour du monde par les trois grands caps : Bonne Espérance, au sud de la Tasmanie et Horn. Et ceci sans jamais ravitailler à terre ! Curieusement, c’est en Méditerranée que nous avons subi le plus gros coup de tabac, peu avant notre retour à Toulon. Le pont s’est abaissé de 30 cm !
Michel Coursault avait déjà quitté le Forbin pour prendre la direction des études de l’école de guerre navale à Paris. Mais le couple Lepercq s’installa en 1970 tout près de la maison de son ancien commandant, chemin du petit bois à Toulon.
- Votre grand-mère Suzanne était très sociable. Elle invitait facilement et nous avons eu plusieurs fois l’occasion d'aller chez eux, raconte Françoise.
- Elle vendait de la vaisselle de Naples, rajoute Luc, très jolie.
Un quatrième enfant est ensuite venu compléter la belle tribu Lepercq, une petite Juliette après Thierry, Alexandra et Nicolas.
Luc Lepercq fait partie de ces officiers, comme Cousteau, qui ont quitté la Marine en pleine carrière. Michel Coursault avait aussi hésité à rejoindre le civil, une première fois au lendemain de la guerre, alors qu'il était pris de doutes sur son avenir, puis dans les années 60, tandis que sa promotion tardait à s'annoncer.
- Pourquoi et comment vous êtes-vous décidés à démissionner d'une institution comme la Marine ? lui demandé-je.
- Il ne souhaitait pas travailler dans des bureaux, à faire des papiers ! répond Françoise.
- Oui, je voulais rester en mer, je ne me voyais pas un jour à noter mes camarades depuis un bureau. Après 17 ans dans la Marine, j’étais second sur le Triton2 et nous avons eu pour mission d’approcher le record de la COMEX en plongée sous-marine qui était de 270m. Les responsables de cette société étaient invités à bord et lors d’un échange j’ai évoqué vaguement le souhait de quitter la Marine. Ils m’ont tout de suite proposé un contrat que j’ai signé trois mois après.
Une nouvelle carrière s’offrait alors à Luc Lepercq, toujours à la mer, mais dans le secteur parapétrolier ou la pose de câbles sous-marins.
Françoise Lepercq, née Cabanius-Matraman, a accompagné son mari, l’a soutenu dans ses choix. Elle s’étonne vivre en Savoie.
- Je suis une Provençale, née à Avignon et j'ai grandi dans le Gard, et comme vous je me passionne pour les vieux papiers. Nous en avons retrouvé une malle complète dans le grenier de mes parents. Ce qui m’a permis de reconstruire l’histoire de notre maison et de nos racines.
Les racines, c’est bien cela que nous consolidons en racontant ces histoires. Plus elles seront profondes, plus le chêne sera fort face aux tempêtes… Et j’ai d’ailleurs été frappé par un interview de leur fils Thierry (fondateur de Solairedirect) qui explique :
« J’avais, en effet, un certain atavisme pour l’énergie au sens large, mon père, qui était officier de marine, avait ensuite fait toute sa carrière dans le parapétrolier tandis que mon grand-père maternel était directeur de l’équipement chez EDF et a contribué à la construction de nombreux barrages en France dans les années 1960 ainsi que les premières centrales nucléaires ».
Luc Lepercq est né en 1936, promotion 1957, il quitte la Marine au grade de Capitaine de corvette pour rejoindre la COMEX.
1- Pierre Jaillard (1894 – 1915) était entré à l’école navale en 1912. Enseigne de vaisseau à bord du croiseur cuirassé « Léon Gambetta », il meurt avec tous les officiers lors du torpillage de celui-ci le 27 avril 1915 après s’être sacrifié pour sauver l’équipage.
2- Le Triton était un bâtiment d’intervention sous la mer (BISM). Les marins de ce qui était en 1972 le GISMER (Groupe d’intervention sous la mer) participaient aux premières plongées à saturation en mer de la Marine nationale. Ils descendirent à 204 mètres de profondeur.
Mot de l’auteur :
Ce recueil se termine ainsi, mais rien n’est figé et j’ose espérer que parmi ceux qui auront lu ces lignes, certains me permettront de les enrichir d’autres anecdotes.
L’évocation du souvenir de Michel Coursault aura été un prétexte et une occasion exceptionnelle de rendre visite à nos doyens. Un hommage à tous ces amiraux, capitaines, pachas, seconds et autres commandants, à leurs carrières, à leurs mémoires, et un grand merci à eux d’avoir su préserver et transmettre les valeurs de la Marine nationale, fierté encore aujourd’hui pour nous tous, militaires ou simples civils, et de nous offrir toujours le rêve d'horizons lointains.
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Nicolas Coursault, interview du Capitaine de corvette Luc Lepercq, 08/11/2022.
Crédits photo : albums de la famille Coursault.
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Quelques mois plus tard, Alexandra Lepercq m'a écrit le message suivant :
Bonjour Nicolas Je suis tombée par hasard sur votre texte "hommage aux anciens de la Marine, partie 4". Je connaissais l'existence de cet interview par mes parents. C'était touchant de lire ce que vous avez retenus de cet échange de juillet 2022, où je reconnais bien la patte de mon père (Luc) et de ma mère (Françoise). La vie a cela de surprenant que l'on a diagnostiqué un cancer du foie à ma mère fin août 2022. Elle est décédée le 1er novembre 2022 et inhumée en son pays du Gard le 18 novembre 2022, le jour où vous avez publié votre article. Je voulais vous remercier de ce partage qui rétrospectivement à un sens si particulier et en devient si précieux. Alexandra
Merci Alexandra pour ces quelques mots qui donnent du sens à ma passion et mes tendres pensées à votre père et votre famille.
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