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Nicolas Coursault

Les femmes allemandes et les prisonniers de guerre


Les femmes allemandes et les prisonniers de guerre
Les prisonniers de guerre français et les Allemands

La question des relations entre les femmes allemandes et les prisonniers français est restée longtemps taboue, cachée. Les soldats rentraient en France en 1945 dans un pays qui avait changé. Mal considérés, retrouvant des villes détruites, des familles esseulées, on écouta à peine l’histoire de ces hommes. Qu’est-ce qu’on attendait d’eux ? Que voulait-on entendre hormis la confirmation que les Allemands étaient un peuple de barbares, complices des pires crimes ?

De l’autre côté du Rhin, le scénario était le même. Que pouvaient dire ces femmes qui voyaient revenir leurs hommes, après une absence de plusieurs années. Elles s’étaient retrouvées seules à gérer leurs fermes, leurs commerces, dans des villages vidés de leurs hommes.

Chacune, chacun de son côté dut occulter les bons moments, les heureux souvenirs, les repas partagés, les anniversaires fêtés ensemble, oublier ce noyau protecteur constitué des prisonniers et des familles allemandes.

Quelques historiens ont évoqué le sujet, dont Yves Durand et Fabien Théofilakis, regroupant des témoignages, que j’ai pu compléter par d’autres. Il m’a paru nécessaire de publier cet article pour compléter et approfondir cette dimension évoquée dans mon roman SOLSTICE 40.

« Les femmes allemandes ne sont pas favorables au régime. Elles font beaucoup de bien aux P.G. » Témoignage d’un rapatrié du Stalag XIII A, 8 juillet 1942.

Compte tenu de la situation des prisonniers de guerre (PG) dans les Kommandos, il est normal que les rapports avec les femmes allemandes et autrichiennes aient joué un rôle dans la vie de nombre d’entre eux. Qu’y a-t-il de plus humain dans le fait que des hommes en pleine force de l’âge, exilés pendant des années et mis en contact avec des femmes du pays où la captivité les obligeait à vivre, parfois dans des conditions proches de l’intimité, aient eu avec celles-ci des relations amoureuses en dépit des obstacles et des dangers que cela présentait ? Mais pas seulement, et les relations entre les PG et la population féminine d’Allemagne ne se sont nullement réduites à des rapports d’ordre sexuel.

Bruno, César, Joseph et bien d’autres diront que c’est grâce aux femmes allemandes et autrichiennes que la captivité avait pu être supportable. Ils ne songeaient qu’à leur seule présence, aux sentiments humains qu’elles ont manifesté, non aux relations d’ordre sexuel ou amoureux qui n’ont été le fait que d’une minorité, et n’ont pas été pour la majorité des PG une préoccupation ni une pratique personnelle. C’est la femme en tant que femme, non en tant qu’amante ou maîtresse, qui a joué un rôle spécifique dans la vie des PG, pris dans leur ensemble.

« Les relations avec les femmes ont pris de grosses proportions. Les femmes allemandes provoquent les PG. En dépit des restrictions, elles offrent des aliments et des effets aux PG qui acceptent leurs propositions. Des mesures de répression ont été prises. » Témoignage d’un rapatrié du Kommando 100 B usine MAN d’Augsbourg, Stalag VII B, le 08/08/1942.

Mais il faut se garder de généraliser et des Allemandes se montrèrent plus nazies, plus dures à l’égard des PG que certains de leurs compatriotes masculins. Cependant, maints récits et documents témoignent que les femmes furent en général plus favorables aux PG que les hommes. Sans doute, la plupart d’entre elles étaient-elles moins dominées par des préjugés politiques, plus volontiers inspirées par des réactions simplement humaines de pitié, de sympathie, pour des hommes privés de leur pays et de leur famille. D’autre part, le fait qu’elles-mêmes furent de plus en plus séparées de leurs fils ou de leurs maris envoyés au front, conduisait aussi à donner à leur attitude un aspect compréhensif pour des hommes qui partageaient leur existence quotidienne.

Au chapitre plus restreint des relations sexuelles, il faut ajouter que, pour les femmes allemandes et autrichiennes, les PG bénéficiaient certainement de la réputation faite aux Français d’être particulièrement portés à l’amour et experts en la matière. Cette cohabitation forcée permit d’atténuer ces stéréotypes et les Allemandes découvriront que les PG ne sont pas tous des coureurs de jupons, et la grande majorité se révéla être des hommes sérieux, fidèles et attachés à leur famille.

« Les femmes autrichiennes ont un faible pour les PG français. Certains sont obligés de se défendre énergiquement contre leurs avances. » Témoignage d’un rapatrié du Stalag XVII A, le 27/01/1943.

Il reste que, en Allemagne et en Autriche, les PG français furent l’objet de sollicitations de la part de femmes avec lesquelles ils étaient amenés à travailler. Naturellement, il ne faudrait pas faire retomber sur les femmes allemandes la seule responsabilité des rapports de ce genre avec les PG français ! Parmi ceux-ci, un nombre non négligeable ne se priva pas de prendre l’initiative de telles relations. Encore faut-il ajouter que, sans aucun doute comme il arrive souvent sur ces sujets, récits et témoignages ont une forte tendance à grossir, voire à inventer les faits.

« Les relations avec les femmes sont punies de 3 à 5 ans de prison. Ceci n’empêche pas les femmes allemandes de rechercher les relations avec les Français, au besoin de les aider à s’évader. » Témoin du Stalag IX A, 24/03/1942.



Les femmes allemandes et les prisonniers de guerre
Affiche destinée aux prisonniers de guerre, leur interdisant toute relation avec les femmes allemandes


De simples relations cordiales risquaient d’ailleurs d’être interprétées en mal et d’attirer sur de bien innocents PG les pires ennuis. Témoin ce qui arriva au Kommando 711 du Stalag XII F, près de Sarrebrück, selon le récit d’un rapatrié du 15/10/1942. Ils étaient là 22 PG travaillant dans des fermes. L’un d’eux reçut, pour sa fête, de sa patronne, un bouquet, deux bouteilles de vin et un gâteau. Les gens du village le virent le soir rentrer au Kommando avec ces paquets insolites. Ils portèrent plainte à la mairie et la Gestapo fit une enquête. La patronne a été condamnée à 150 marks d’amende et le PG muté.

Trois sous-officiers rapatriés du Stalag VII A le 10/10/1942 émettent le vœu d’une « relève semestrielle des PG travaillant en Kommando de culture avec changement de Kommando. Ceci en vue d’éviter les relations intimes et suivies entre les PG et le personnel féminin des fermes. Ces histoires tournant souvent au désavantage du PG. Quand le bruit de ces relations arrive aux oreilles du mari ou des autorités allemandes, le PG est mis à la porte. Si la femme avoue, le PG attrape 3 et même 4 ans de forteresse »

Forteresse qui n’est autre que celle de Graudenz en Pologne, d’où l’on sort rarement vivant.

C’est que le régime nazi se montrait particulièrement rigoureux sur ce genre de rapports entre PG et femmes allemandes. Les autorités veillaient scrupuleusement à la préservation de la pureté de la race, en interdisant tout contact de caractère sexuel, même bénin, avec les femmes allemandes. Les PG en étaient avertis dès leur arrivée au camp et se virent régulièrement rappeler cette interdiction par des affiches et des notes diffusées dans les Kommandos. De leur côté, les femmes allemandes et autrichiennes sont soumises à une propagande les mettant vigoureusement en garde contre les relations avec les PG.

Au Kommando 9262 du Stalag II C (près de Rostock), tous les mois, chaque PG signe un papier :

" Tout prisonnier surpris à avoir des relations avec des femmes allemandes sera sévèrement puni ; tarif :

- Parler avec une femme : amende de 10 marks.

- Embrasser une femme : un mois de prison.

- Coucher avec une femme (suivant la situation sociale de la femme, mariée ou jeune fille) : jusqu’à la peine de mort."

Témoignage d’un rapatrié le 24/07/1942.

Les condamnations émises par les différents tribunaux et conseils de guerre allemands font état d’une proportion de 75 à 80% pour des affaires concernant les relations entre les PG et des femmes allemandes. Les condamnations sont extrêmement sévères pour les PG, mais aussi pour les femmes.

Malgré cela, on peut penser que dans de nombreux cas, les relations des PG avec des femmes allemandes ne furent pas suivies de sanction, soit parce qu’elles restèrent secrètes, soit parce qu’elles furent tout simplement tolérées par un entourage complaisant. De tels rapports étaient plus faciles pour les PG travaillant isolés dans les fermes que pour ceux qui étaient employés dans les usines. Celles-ci ne furent pas cependant sans offrir aussi des occasions de tels « rapprochements ».

« Malgré les sanctions sévères pour les PG et les femmes, 200 PG de Kommando ont des relations suivies avec des ouvrières allemandes de l’usine et passent la nuit avec elles. Les PG sortent du Kommando en passant par l’infirmerie et par un camp civil de Hongrois. Dix ont déjà été surpris depuis octobre 41 et condamnés à 3 ans de forteresse. Les femmes ont les cheveux coupés et doivent porter un écriteau : « je suis la maîtresse d’un PG français ».

Déclaration d’un PG évadé le 14/03/1942 du Stalag III A.

Mais ce ne sont pas ces rapports d’ordre sexuel, très minoritaires malgré tout, qui donnent au rôle joué par les femmes allemandes dans la captivité des PG leur véritable dimension. Pour situer plus exactement les faits, voici deux exemples de relations entre femmes allemandes et PG qui permettent de placer le problème à sa vraie place :

Le PG Roger Christophe était employé dans un Kommando urbain à Düsseldorf. Pendant l’hiver, ils prenaient, lui et ses camarades, le tramway pour aller travailler. Un jour, un peu avant Noël, il remarque sur la plateforme une jeune femme qui lui fait un sourire très engageant. Le lendemain, il la revoit : même sourire. Il se permet cette fois-ci de lui prendre la main ; elle ne la retire pas. « Et ainsi de suite, dit-il, durant trois ou quatre jours. Ce n’était pas bien méchant, mais, pour un prisonnier de vingt-cinq ans, je vous laisse juge des rêves que cela me permettait. Le lendemain de Noël, même manège. Mais elle me demande de descendre avec elle à la station du tramway. Elle me dit alors qu’elle refusera désormais ces petites familiarités ; qu’elle était fiancée à un soldat du front et qu’elle avait fait cela uniquement pour qu’un prisonnier fasse de beaux rêves les soirs de Noël. Inutile de vous dire à quel point j’étais furieux. Puis, avec le temps, je me suis demandé si ce n’était pas là un bien joli geste. »

Le deuxième exemple est tout différent. Il vient du témoignage d’un rapatrié du Stalag I B le 19/12/1942 : dans un Kommando, au village de Hoenstein, à 30 kilomètres de Dantzig, une fermière emploie deux PG. Un jour elle apprend que son fils a été tué en Russie. Elle conseille alors aux PG de s’évader. Elle les met en relation avec une filière allemande qui va effectivement les conduire jusqu’à Sarrebourg.

Le conte de Noël idyllique et bref de Düsseldorf et l’acte dicté par le drame personnel d’une mère allemande de Prusse orientale ne donnent pas, bien entendu, l’écho des relations ordinaires entre PG et femmes allemandes. Ils en donnent le ton d’humanité profonde et c’est à ce titre qu’ils paraissent révélateurs.

On voit bien que, pour les PG dispersés au cœur du Reich dans les Kommandos, les rapports avec la population allemande ne pouvaient être simples et régis entièrement par des principes. Au travail, le prisonnier, même s’il n’oubliait pas qu’il était un soldat, était aussi un homme, mis en contact étroit et prolongé avec d’autres hommes et femmes. Il pouvait, bien entendu, continuer à considérer les Allemands dans leur ensemble comme l’ennemi, subir leur loi tout en gardant strictement avec eux ses distances, et même ne songer qu’à l’évasion. Beaucoup le firent. Encore n’échappèrent-ils pas aux problèmes que pouvait faire surgir dans leur esprit la découverte directe de certains traits de la population allemande comme, par exemple, l’existence d’Allemands antinazis.

On peut légitimement se poser la question de l’existence de rapports identiques avec d’autres nationalités de prisonniers. Mais hormis les Belges, il ne semble pas qu’il y ait eu d’équivalents avec les Russes, exterminés dans les camps, ni les Anglais et Américains, arrivés tardivement à la fin de la guerre. Les relations qu’ont entretenues les PG français et les femmes allemandes ont donc essentiellement pour origine la longue période de captivité (cinq ans), l’absence des hommes allemands mobilisés sur le front russe, et leur remplacement par 1,5 million de Français.






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